La lettre en question est écrite en allemand, et nous savons
qu’Evola, à l'époque, pratiquait déjà assez bien cette langue.
En outre, à la même époque, Evola et Rafaël Spann se connais-
saient déjà. Nous supposons donc que cette lettre lui était adressée.
Cette supposition est avalisée avant tout par une autre lettre de
Rafaël Spann à l'« Italien inconnu », cette fois du 12 février
1935 et toujours écrite en allemand. R. Spann y dit à propos de
Costamagna: « La chose devrait déjà avoir été réglée...».
Othmar Spann devait en effet publier un article dans Lo Stato,
revue à laquelle collaborait déjà Evola69.
En fonction de ces données, on pourrait considérer sous un
autre angle le désir d’Evola d'affirmer sa propre théorie de la
race. C'est également dans cette optique qu'il faudrait envisa-
ger le projet plus tardif d'une revue d'études raciales publiée en
Italien et en allemand, Sangue e Spirito / Blut und Geist,, projet
lui fut bloqué, après avoir reçu une autorisation préalable, sans
raison officielle, mais probablement à cause des déclarations
•appelées plus haut) d'Evola sur l'Italie et de la réprobation
qu’elles soulevèrent. Peut-être existait-il effectivement quelque
>ose comme un front « révolutionnaire-conservateur » contre
les conceptions racistes du national-socialisme, conceptions qui
suscitaient l'indignation dans le monde entier et qui avaient
pur « représentant intellectuel » Alfred Rosenberg, l'auteur du
Mythe du XXe siècle, livre qualifié dans le cercle de Spann,
d’après le rapport secret mentionné, d'«idiotie70». Tout cela
exliquerait aussi l'article très critique d'Evola (mais non signé)
envers Rosenberg paru dans Lo Stato, en 1935 précisément71.
Les actions concertées contre Othmar Spann ne se firent pas
attendre longtemps. Dans Le Mythe du XXe siècle, Rosenberg
avait déjà attaqué la « nouvelle scolastique intellectualiste » et
avait pris pour cible l'« universalisme » de Spann, reprochant à
celui-ci d'avoir accordé plus d'importance à la religion qu'au
Volkstum [« essence du peuple »]. Mais ce fut surtout en 1938
que l'on assista à une grande campagne contre Spann. Elle
impliqua le quotidien officiel de la NSDAP, le Vôlkische Beo-
bachter, ainsi que l'hebdomadaire Das Schwarze Korps, organe
officiel de la SS. Même des revues spécialisées, d'économie et
de droit, furent mobilisées. Das Schwarze Korps écrivit par
exemple à propos des disciples de Spann :
« Ils opèrent leurs choix du seul point de vue spirituel [...],
ne font valoir que l'Intellect [...], évitent tout contact étroit avec
le peuple. [...] Ces phraseurs sont dangereux, à cause du grand
désir d'information culturelle de notre peuple et de son ouver-
ture mentale pour les questions se rapportant à l'Esprit et aux
visions du monde. »
Spann lui-même fut qualifié de « combattant de classe de
l'"Esprit"72 ». L'atmosphère hostile se manifesta très claire-
ment le jour où les troupes allemandes marchèrent sur Vienne,
quand Othmar Spann et Walter Heinrich furent arrêtés et
emprisonnés. Ce n'est pas la première fois que nous tombons
ici sur le nom de Walter Heinrich. Il connut Evola peut-être en
1934-1935 (voire avant à Rome), quand celui-ci prononça une
conférence à l'université de Vienne, comme nous l'a indiqué
une femme ayant appartenu au cercle de Spann. Cette dame
assista personnellement à la conférence, avec d'autres disciples
de Spann. Elle nous a rapporté que l'allemand d’Evola était
alors encore un peu imprécis, mais qu'il s'améliora par la suite.
Elle garde en mémoire l'allure extérieure d'Evola, particulière-
ment soignée, et le port du monocle.
On peut supposer qu’Evola et Heinrich ont échangé une
longue correspondance, surtout si l'on tient compte des
fréquents voyages du second en Italie.
Il semble malheureusement que cette correspondance soit perdue.
(...)